(Propos recueillis par Sylvain LABAUNE et Sabine NEULAT-ISARD)
PARIS, 30 mai 2023 (APMnews) - Le ministre de la transformation et de la fonction publiques, Stanislas Guerini, s'est engagé à prendre différentes mesures en matière de rémunérations pour les bas salaires, de mobilités inter-fonctions publiques, sur la protection sociale complémentaire, l'usure professionnelle dans la fonction publique hospitalière, la transition écologique dans la santé ou en faveur de l'équilibre des nominations femmes-hommes chez les chefs de service hospitaliers, dans un entretien accordé à APMnews, mercredi dernier, à l'issue d'une journée passée au salon Santexpo.
APMnews: Un "agenda social 2023" a été présenté en janvier aux syndicats et employeurs publics. Il devait ouvrir un cycle de travaux autour de "quatre blocs" (cf dépêche du 25/01/2023 à 18:43). Les réunions sont-elles toujours en cours et quand doivent-elles se terminer? Doivent-elles aboutir à des augmentations salariales?

Photo: Lucas Heral/Wikimedia Commons
Stanislas Guerini: Les réunions dans le cadre de l'agenda social 2023 ne doivent pas se terminer. Il y a des enjeux d'urgence qui sont identifiés par les organisations syndicales et par le ministère de la fonction publique, au premier rang desquels les réponses que nous devons apporter aux enjeux de pouvoir d'achat.
J'ai repris cette semaine le dialogue avec l'ensemble des organisations syndicales de la fonction publique dont celles du versant hospitalier. Je leur ai indiqué que je souhaitais faire ce travail dans un calendrier accéléré par rapport à nos rendez-vous salariaux traditionnels, qui d'habitude ont lieu un peu plus tard dans l'année. L'objectif est de pouvoir avoir une rencontre en multilatéral avec l'ensemble des organisations syndicales de la fonction publique en juin, de faire des propositions dans une logique de débats contradictoires, pour répondre à l'enjeu de l'inflation qui touche en particulier les agents en bas de la grille salariale pour l'achat de produits du quotidien.
L'inflation vient parfois encore renforcer un effet d'écrasement de grille et empêcher certains effets d'évolution de carrière. C'est à cela qu'il va falloir répondre en priorité. A ce stade, je n'ai pas encore formulé de propositions sur la forme que pourront prendre ces évolutions salariales. Pour l'instant, je suis dans la démarche d'écouter ce que les syndicats ont à dire alors que le dialogue social vient de reprendre.
Je serai en capacité de faire des propositions dès le mois de juin sur ces questions de pouvoir d'achat et elles concerneront l'ensemble des agents de la fonction publique.
En ce qui concerne spécifiquement la fonction publique hospitalière [FPH], il y a des réflexions en cours sur des sujets prioritaires comme le travail de nuit et le week-end. En discutant avec les acteurs du monde de la santé, cela fait partie des revendications prioritaires sur lesquelles nous travaillons avec François Braun [ministre de la santé et de la prévention] pour apporter des réponses, c'est l'engagement que je prends. Le travail des ministres ensemble sur ces sujets est absolument prioritaire. Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales [Igas] sur la permanence des soins et les sujétions est d'ailleurs attendu prochainement [cf
dépêche du 24/05/2023 à 09:38].
Où en est la transposition de la réforme de la haute fonction publique dans la FPH alors que des réunions entre la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et les syndicats sont en cours (cf dépêche du 19/04/2023 à 17:22)? A quoi cela doit aboutir en ce qui concerne le statut des directeurs?
Un enjeu global pour la fonction publique est de développer les carrières avec plus de transversalité, de possibilités de passerelles pour les agents entre les versants. Bien souvent, nous avons eu des discours sur ces questions mais qui venaient se fracasser contre des gestions qui en réalité étaient dans une logique de 'chacun dans son silo'. Il faut sortir de cela.
Traduire la réforme de la haute fonction publique pour l'Etat pour les cadres hospitaliers, c'est se donner les moyens de développer des carrières transversales parce qu'on aura une gestion plus homogène des carrières. Aujourd'hui, je crois que les profils du monde de l'hôpital peuvent par exemple faire demain des préfets de grande qualité. Mais comment imaginer ce système si nous avons deux systèmes de rémunération, indiciaire ou indemnitaire, qui fonctionnent de façon complètement distincte?
Ce que l'on est en train de faire sur le versant étatique, c'est de développer une gestion et un accompagnement des parcours de carrière beaucoup plus interministériels et ma volonté serait d'emmener cette logique et ces moyens pour les cadres de la santé, afin de proposer des perspectives de carrière plus diversifiées.
Il y a également un enjeu de rémunération et je sais les attentes des cadres de la santé sur cette question. La réforme de la haute fonction publique pour l'Etat a été l'occasion d'une harmonisation par le haut des dispositifs de rémunération qui allait de pair avec une rémunération plus forte de la performance individuelle et collective. Ce sont des logiques que je veux emmener en transposant la réforme au versant hospitalier.
Cette traduction de la réforme pour les cadres hospitaliers doit pouvoir s'engager en 2024 de façon effective.
Je crois notamment au principe d'assumer les différences de rémunération en fonction de la performance, du mérite, de l'engagement. Ce ne sont pas des gros mots dans la bouche du ministre de la fonction publique. Cette logique de performance doit pouvoir s'appliquer aussi au versant hospitalier. Elle est parfaitement respectueuse de ce qu'est le statut de la fonction publique qui est fait de droits et de devoirs.
La réforme de la protection sociale complémentaire (PSC) dans la FPH doit entrer en vigueur en 2026. L'échéance sera-t-elle tenue? Un décret fixant les conditions de son application doit-il être bientôt présenté?
Ce sujet est un des objets de la reprise cette semaine du dialogue social. Je souhaite faire aboutir la négociation en cours sur la prévoyance pour le volet de l'Etat qui doit entrer en vigueur en 2024. Cette étape doit fixer le 'la' pour la déclinaison que l'on pourra avoir sur le versant hospitalier et territorial. Le calendrier que j'ai donné cette semaine aux organisations syndicales serait de pouvoir aboutir à une discussion d'ici l'été, notamment pour pouvoir définir quelles évolutions statuaires pourront être apportées en matière de prévoyance, ainsi que le volet conventionnel qui viendrait compléter le volet statutaire. Nous avons besoin d'aboutir dans la discussion pour l'Etat sur les améliorations statutaires pour permettre aux autres versants de mener la discussion. Un décret doit probablement sortir à l'automne pour cadrer les choses pour la FPH. Il sera rédigé par la DGOS.
En janvier, dans le cadre de la réforme des retraites, vous avez demandé à Sophie Lebret et à Rodolphe Soulié de mener une mission sur la mise en place d'un fonds de prévention de l'usure professionnelle des personnels des établissements sanitaires et médico-sociaux de la FPH et des personnels des établissements médico-sociaux de la FPT (cf dépêche du 31/01/2023 à 16:42). Ce rapport a-t-il été remis et quelles en sont les préconisations?
Le rapport est en cours de finalisation. C'est un enjeu majeur, directement lié à la réforme des retraites car il faut qu'on arrive à faire une révolution dans la fonction publique et passer d'une logique de réparation uniquement à une logique de prévention. Les questions d'usure, de prévention, touchent tous les agents, même ceux de moins de 60 ans! La mission a un rôle très important puisqu'elle doit répondre aux questions qui se posent, comme combien d'agents sont concernés, qu'est-ce qui doit être financé et ensuite comment on le fait, avec quels montants et avec quelle gouvernance des fonds qui seront investis. On parle tout de même d'un demi-milliard sur le quinquennat, soit 100 millions d'euros par an.
Les auteurs ont apporté les premières pistes qui me semblent très intéressantes et je souhaite qu'on puisse avoir un travail qui soit cohérent avec la réflexion que nous lançons pour la fonction publique territoriale. J'ai lancé en effet, il y a quelques jours, une mission sur les métiers de la territoriale qui sont aussi concernés par la mission Lebret-Soulié, et qu'on puisse mettre en cohérence ces travaux. Avant la publication du rapport, je souhaite une interaction sur ces métiers. L'objectif est qu'on puisse mettre en place des outils de prévention collective au moment de l'application de la réforme des retraites, prévue à l'automne.
Concernant la loi sur les retraites, le Conseil constitutionnel a supprimé la disposition qui visait à faire en sorte que les contractuels voient leurs années de service intégralement prises en compte s'ils sont titularisés. Cette mesure va-t-elle être reprise par le gouvernement?
J'ai pris l'engagement que cette mesure sera appliquée et que je trouverai un véhicule législatif pour que cette mesure, qui constitue une vraie amélioration, soit appliquée aux agents contractuels, en particulier pour les aides-soignants de la FPH qui sont concernés et sont plus de 100.000. Je regrette que le débat empêché sur la réforme des retraites ait fait passer sous le radar des questions qui sont pourtant absolument essentielles et qui étaient des améliorations pour les agents publics. Nous avons décidé de mettre fin à cette situation et de pouvoir faire en sorte que les années passées sous contrat soient intégrées dans toute la durée de service.
La portabilité des droits sera également effective entre les catégories actives. C'est une avancée majeure car cela permet de changer de métier sans perdre de droits en cours de route. Je pense aussi à l'instauration d'une retraite progressive pour les agents âgés de 62 ans sans perdre de rémunération. Cela va nous permettre de donner des moyens en matière d'aménagement des carrières. J'ai d'ailleurs invité les organisations syndicales à un groupe de travail spécifique sur l'application de la retraite progressive dans la fonction publique en juin.

Stanislas Guerini à la signature du pacte de transition écologique des CHU, entouré de Frédéric Boiron (Lille), Philippe El Saïr (conférence des DG de CHU), Benoît Veber (conférence des doyens), et Marie-Thérèse Leccia (présidents de CME)
Vous avez signé mercredi dernier au salon Santexpo un pacte sur la transition écologique des CHU. Qu'est-ce que cela représente pour vous?
L'idée est d'engager la dynamique de transition écologique dans le monde de la santé. La dimension environnementale a pleinement sa part dans les problématiques qui sont appréhendées dans l'univers de la santé. C'est un levier de transformation. Je vais m'y investir très fortement.
De la même façon qu'on a établi des formations pour les 25.000 cadres de la fonction publique de l'Etat, on lance la dynamique pour former les 6.500 cadres du secteur de la santé -directeurs d'hôpitaux, directeurs d'établissements sanitaires et médico-sociaux, directeurs des soins et présidents de commission médicale d'établissement. On donnera le coup d'envoi à Marseille le 18 juillet avec des équipes de l'AP-HM [Assistance publique-hôpitaux de Marseille] dans un objectif de formation qui soit tournée sur la mise en action des agents pour mener des transformations qui seront bénéfiques sur la qualité de vie au travail, comme porter des charges moins lourdes, éliminer des produits toxiques…. Il y a un enjeu de passage à l'échelle. C'est un des leviers clés pour l'attractivité. Les modules de formation sont élaborés avec l'Anap et avec l'appui et la validation pédagogique de l'EHESP [Ecole des hautes études en santé publique].
Prenez-vous d'autres mesures pour favoriser l'attractivité des métiers?
Je prends des engagements sur l'enjeu du mentorat qui est un des leviers qu'on active fortement pour répondre au problème de l'attractivité. J'ai annoncé le lancement d'une plateforme inter-versants sur la question du mentorat pour répondre à trois objectifs: mieux faire connaître les opportunités de mentorat et accompagner très concrètement les rencontres entre les mentors et les mentorés, la formation des mentors et un guide du mentorat, et un objectif de valorisation des agents qui s'engagent dans cette dynamique à travers une valorisation professionnelle et dans leur parcours.
Lorsque je vois les abandons en cours d'étude des infirmiers, mieux accompagner les étudiants dans les moments-clés aura un impact très fort sur la baisse du taux d'échec.
Comment accentuer l'égalité hommes-femmes dans les hôpitaux?
Sur l'éradication des violences sexistes et sexuelles, il y a des outils qu'on a déployés et qu'il faut mieux faire connaître.
Sur les enjeux d'environnement de travail des femmes dans la fonction publique, on a avancé très concrètement avec la suppression du jour de carence pour les femmes qui subissent une fausse couche.
Sur l'égalité professionnelle, notamment salariale, on fait un travail législatif pour rendre plus ambitieux nos dispositifs de nominations équilibrées et je veux que l'élargissement du dispositif puisse se faire au profit des médecins dans l'univers de la santé. Je porterai ce point-là au débat à l'occasion du débat législatif qui aura lieu la semaine du 12 juin. Cela concernera les chefs de service et les chefs de pôle qui ne sont pour l'instant pas inclus dans le dispositif.
syl-san/ab/APMnews