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L'atout de l'essai clinique européen sur le Covid-19 est sa "rigueur méthodologique" (Florence Ader)

(Par Sylvie BURNOUF)
PARIS, 28 mars 2020 (APMnews) - La "rigueur méthodologique" de l'essai clinique randomisé Discovery, qui vise à évaluer plusieurs traitements potentiels contre le coronavirus Sars-CoV-2, devrait permettre "d'apporter des réponses très importantes pour l'amélioration de l'état de santé des populations", a affirmé samedi le Pr Florence Ader, pilote de l'essai en France, dans un entretien accordé à APMnews.
Le lancement de cet essai européen randomisé avait été annoncé début mars par le Pr Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique installé auprès du gouvernement, rappelle-t-on (cf dépêche du 06/03/2020 à 12:17). Il est piloté en France par le Pr Florence Ader, infectiologue dans le service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Croix-Rousse aux Hospices civils de Lyon (HCL) et chercheuse au Centre international de recherche en infectiologie (Ciri, Inserm/CNRS/université Claude-Bernard Lyon I).
L'essai Discovery a pour objectif d'évaluer l'efficacité et la sécurité de plusieurs traitements candidats contre le coronavirus Sars-CoV-2: le remdésivir (Gilead), l'anti-VIH lopinavir-ritonavir (Kaletra*, AbbVie), l'association de Kaletra* à l’interféron bêta, et l’antipaludique hydroxychloroquine -(Plaquenil*, Sanofi), en comparaison à une prise en charge standard.
"Le rythme d'inclusion est élevé", a assuré Florence Ader à APMnews, samedi, rapportant que 123 patients avaient déjà été inclus en l'espace de 5 jours.
Les toutes premières inclusions de patients avaient été réalisées dimanche à l'hôpital Bichat (AP-HP, Paris) et aux HCL, rappelle-t-on (cf dépêche du 23/03/2020 à 19:36). L'objectif est d'inclure au moins 800 patients en France, avec un "probable plafonnement à 1.000 patients", a noté l'infectiologue, rappelant qu'il était prévu d'inclure un total de 3.200 patients en Europe.
Si des médias ont rapporté que certains patients refusaient d'intégrer l'essai Discovery, avec pour argument que ce dernier ne leur donnait pas la garantie de recevoir l'hydroxychloroquine -dont l'efficacité potentielle, bien que reposant sur des données encore préliminaires, a eu un large écho dans les médias et auprès du public (cf dépêche du 20/03/2020 à 11:22)-, Florence Ader a affirmé que l'essai ne rencontrait pas de "problèmes de recrutement".

Garder une "rigueur méthodologique importante"

Elle a rapporté que 7 centres avaient déjà rejoint l'essai (l'hôpital Bichat et les CHU de Lille, Nantes, Strasbourg, Lyon, Nice et Grenoble) et que plusieurs autres centres allaient le rejoindre samedi avec la Pitié-Salpêtrière et l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP) à Paris (AP-HP), l'hôpital Bicêtre au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne, AP-HP), le CHU de Saint-Etienne et le CH d'Annecy Genevois (Change).
"On est submergés de demandes", a-t-elle assuré, précisant que l'objectif était toujours d'intégrer une vingtaine d'établissements français au total, comme initialement prévu.
La France est le seul pays européen à avoir débuté l'essai, a ajouté la chercheuse. La Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg doivent commencer la semaine prochaine, tout comme l'Angleterre, "probablement certains centres en Allemagne", ainsi que l'Espagne, qui est "dans les starting blocks". L'Italie, qui "essaie de gérer au mieux la crise sanitaire", ne participe a priori pas à l'essai, a noté Florence Ader.
"C'est la première fois qu'on est capables de faire de la recherche en temps réel", "efficace et pragmatique", au cours d'une épidémie, a mis en avant l'infectiologue, rappelant que pour la dernière épidémie en date, à virus Ebola, il n'avait pas été possible de "faire des essais contrôlés randomisés en temps réel [en raison de] la désorganisation des soins et [de] la gravité de cette épidémie".
Elle a insisté sur le fait que mener une "recherche en temps réel" impliquait de "garder une rigueur méthodologique importante", pointant qu'il ne fallait "pas confondre vitesse et précipitation" et que "pandémie" n'était pas synonyme de "panique".
"C'est vraiment une procédure, un process, d'essayer de mettre en place des actions de recherche efficientes qui permettent vraiment de [bénéficier] au plus grand nombre", a-t-elle poursuivi, saluant un "vrai beau travail collectif" des hôpitaux français et de l'Inserm.
"Le service public français s'est organisé pour mener un essai de très grande ampleur, avec une rigueur méthodologique qui va permettre, je l'espère, d'apporter des réponses très importantes pour l'amélioration de l'état de santé des populations", a déclaré Florence Ader.
Dans une tribune publiée mercredi sur le site internet du Monde, le Pr Didier Raoult de l'institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille, qui prône l'utilisation large de la chloroquine dans le Covid-19 mais se heurte à des réticences de la communauté médicale, fustige "l’envahissement des méthodologistes" dans la recherche médicale, rappelle-t-on (cf dépêche du 26/03/2020 à 15:55).

"Aucune sélection sur la gravité"

Florence Ader a souligné que l'essai Discovery permettait l'inclusion d'un "large panel de patients", sans critère d'âge et sans "aucune sélection sur la gravité".
"On échantillonne et on stratifie: il y a des formes modérées à sévères et des patients en réanimation", a-t-elle noté, précisant qu'à ce stade, respectivement 58% et 42% des inclusions avaient été réalisées en hospitalisation conventionnelle et en réanimation.
Interrogée par APMnews sur l'intérêt de tester les traitements chez des patients non hospitalisés, Florence Ader a répondu que "pour l'instant, on s'est focalisé sur les patients hospitalisés parce que c'était là qu'était l'urgence".
L'inclusion dans l'étude se fait "en général en moins de 24 heures" après que le patient, s'il est éligible, a donné son accord.
Tous les traitements sont administrés par voie orale, sauf le remdesivir qui est injecté par voie intraveineuse, et les patients inclus dans le bras contrôle reçoivent "tous les soins de support de rigueur, c'est-à-dire [leurs] traitements habituels et tous les traitements optimisés pour une prise en charge classique", a précisé Florence Ader. Il n'y a donc pas de placebo (injecté ou par voie orale) en tant que tel, note-t-on.
S'il n'est pas prévu, à court terme, d'inclure d'autres bras de traitement à cet essai adaptatif, cela pourrait "s'envisager à moyen terme" dans le cas où seraient identifiées des molécules candidates solides, ayant démontré leur utilité dans le contexte du coronavirus, a noté la chercheuse.
Le critère principal d'évaluation est l'amélioration clinique à J15, a-t-elle rapporté, rappelant que contrairement à la grippe, le Covid-19 présentait une "cinétique d'évolution assez lente, avec une possibilité d'aggravation à J7" et qu'il fallait donc "tabler" sur un critère principal un peu plus tardif, qui soit le "plus proche possible de la réalité du patient".
Parmi les critères secondaires figurent la mesure de la charge virale et la survenue d'effets indésirables. Ces derniers sont évalués plusieurs fois par jour auprès des patients, a souligné Florence Ader.
"On commencera à avoir un snapshot" des résultats sur les premiers patients d'ici deux semaines, a ajouté la chercheuse. Mais "l'idée du protocole n'est pas de spéculer sur des résultats", a-t-elle pointé: "On veut une significativité nette [et] on ne communiquera sur les résultats que s'ils sont robustes."

Un coût probable de plusieurs millions d'euros

Si l'évaluation des coûts inhérents à l'essai Discovery est toujours en cours, notamment parce qu'ils évoluent rapidement en raison du contexte de pandémie et de confinement (le transport de médicaments d'une ville à l'autre, par exemple, engendre des coûts importants), le budget de l'essai sera "probablement" de l'ordre de "plusieurs millions d'euros", a estimé Florence Ader. Cette enveloppe comprend une part destinée aux ressources humaines.
Le "noyau dur qui fait tourner l'essai" est constitué d'une vingtaine de personnes qui, "depuis un mois, travaillent quasiment sans horaires", et "beaucoup de bonnes volontés" sont en outre mobilisées sur les différents sites d'investigation, a rapporté l'infectiologue.
Par ailleurs, alors que l'essai Discovery figure dans deux listes de projets financés par les ministères en charge de la recherche et de la santé, diffusées à deux semaines d'intervalle l'une de l'autre (cf dépêche du 27/03/2020 à 15:41 et dépêche du 11/03/2020 à 18:55), Florence Ader a indiqué qu'il ne s'agissait pas de deux financements différents et complémentaires, mais simplement d'une "validation du fait que le protocole sera financé".
sb/sl/APMnews polsan-une

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