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Covid-19: une étude du Pr Raoult étrillée par la société savante éditant la revue qui l'a publiée

PARIS, 6 avril 2020 (APMnews) - Alors qu'une des études de l'équipe du Pr Didier Raoult portant sur l'intérêt de l'hydroxychloroquine dans le Covid-19 a été publiée dans l'International Journal of Antimicrobial Agents, une revue éditée par l'International Society of Antimicrobial Chemotherapy (ISAC), cette dernière étrille l'étude en question, estimant qu'elle ne répond pas aux critères de qualité normalement requis pour une publication dans cette revue.
Les résultats de ces travaux avaient été diffusés par Didier Raoult et l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille avant même leur publication, rappelle-t-on (cf dépêche du 18/03/2020 à 11:46 et dépêche du 20/03/2020 à 11:22). Ils ont été largement relayés par les médias et ont suscité, en dépit de leur caractère très préliminaire, l'intérêt et l'espoir d'une partie de la population. Une autre étude, sans groupe contrôle, a par la suite été publiée par les chercheurs marseillais (cf dépêche du 30/03/2020 à 14:28).
L'engouement en France est tel que plusieurs personnalités politiques et/ou médecins médiatiques ont appelé le gouvernement samedi à autoriser la prescription d'hydroxychloroquine (Plaquenil*, Sanofi) pour tous les malades atteints de formes symptomatiques de Covid-19, et pas seulement ceux présentant des formes graves (cf dépêche du 05/04/2020 à 16:19).
La qualité des données de l'équipe marseillaise est pourtant remise en question par la société savante d'infectiologie qui édite la revue dans laquelle l'étude a été publiée. Dans un communiqué mis en ligne vendredi, elle se dit "préoccupée" du contenu de l'article.
"Le comité de l'ISAC considère que l'article ne satisfait pas aux normes requises par l'ISAC, notamment en ce qui concerne l'absence de détails sur les critères d'inclusion et le triage des patients, pour s'assurer de la sécurité des patients", écrit ainsi le président de la société savante, Andreas Voss.
"Bien que l'ISAC admette qu'il est important d'aider la communauté scientifique en publiant de nouvelles données rapidement, cela ne peut pas se faire au prix d'une baisse de la rigueur scientifique et des bonnes pratiques", poursuit le président, précisant que le rédacteur en chef de l'International Journal of Antimicrobial Agents, Jean-Marc Rolain, était "totalement d'accord" sur ce point.
Le Pr Jean-Marc Rolain a été nommé éditeur en chef de la revue en 2015, peut-on lire sur le site de l'Inserm. Il dirige une équipe de recherche spécialisée dans l’étude de la résistance aux agents antimicrobiens et sur l’émergence des maladies infectieuses à l'IHU Méditerranée Infection à Marseille -soit dans le même centre de recherche que Didier Raoult.
"Malgré certaines allusions publiées en ligne quant à la fiabilité de la procédure de relecture par les pairs déployée pour cet article, la procédure a bien été conforme aux règles", écrit Andreas Voss.
"Etant donné sa fonction de rédacteur en chef de la revue, Jean-Marc Rolain n'a pas été impliqué dans la relecture critique du manuscrit et n'a aucun accès aux informations relatives au reviewing par les pairs", poursuit le président de l'ISAC, précisant que l'ensemble de la procédure avait été confiée à un rédacteur adjoint.

Les bénéfices présumés de l'hydroxychloroquine non retrouvés par l'équipe du Pr Molina

Dans un court article publié la semaine dernière dans la revue Médecine et maladies infectieuses (éditée par la Société de pathologie infectieuse de langue française -Spilf), le Pr Jean-Michel Molina de l'hôpital Saint-Louis (AP-HP, Paris) et ses collègues rapportent les données qu'ils ont collectées de façon prospective sur 11 patients consécutifs hospitalisés dans leur service et traités avec la combinaison hydroxychloroquine et azithromycine.
Dans l'étude du Pr Raoult, les 6 patients ayant reçu cette combinaison thérapeutique n'étaient plus porteurs du virus au niveau nasopharyngé 6 jours après l'inclusion (cf dépêche du 20/03/2020 à 11:22).
L'équipe du Pr Molina a travaillé sur des patients atteints d'une forme sévère de Covid-19 et recevant 600 mg d'hydroxychloroquine par jour pendant 10 jours ainsi que de l'azithromycine pendant 5 jours (500 mg le premier jour puis 250 mg par jour) -soit les mêmes doses que celles administrées à Marseille.
Ces patients (7 hommes et 4 femmes) étaient âgés de 59 ans en moyenne (entre 20 et 77 ans) et 9 d'entre eux présentaient des comorbidités importantes (obésité, cancer, infection par le VIH).
Au moment où le traitement a été initié, 10 patients sur 11 souffraient de fièvre et ont bénéficié d'une oxygénothérapie par voie nasale. En l'espace de 5 jours, un patient est décédé et deux ont été transférés en unité de soins intensifs.
Les chercheurs ont constaté que chez 8 patients sur 10, les prélèvements nasopharyngés étaient toujours positifs pour le Sars-CoV-2 après 5-6 jours de traitement.
Le traitement a par ailleurs dû être arrêté après 4 jours chez un des patients en raison d'un allongement de l'intervalle QT.
"Ces résultats virologiques contrastent avec ceux rapportés [par l'équipe de Didier Raoult] et sèment le doute quant à la forte efficacité antivirale de cette combinaison thérapeutique", pointent les auteurs. Ils rappellent en outre que les données marseillaises font également état d'un décès et de trois transferts en unités de soins intensifs parmi les 26 patients traités, "ce qui souligne l'évolution clinique médiocre associée à ce traitement".
"Nous n'avons observé aucune preuve d'une forte activité antivirale ou d'un bénéfice clinique liés à la combinaison hydroxychloroquine et azithromycine lors du traitement de nos patients hospitalisés avec une forme sévère de Covid-19", concluent-ils.

Le CMG souhaite des études en contexte de soins primaires

Dans un communiqué diffusé vendredi, le Collège de la médecine générale (CMG) estime que "la décision politique d’autoriser la prescription d’hydroxychloroquine uniquement à l’hôpital relève d’un non-sens délétère" et assure que la "communauté scientifique est unanime" sur le fait que "si l’hydroxychloroquine pouvait avoir une efficacité, cela serait au début des symptômes de la maladie".
Le CMG appelle donc à ce que soient réalisés en priorité des projets de recherche visant à tester l'effet de l'hydroxychloroquine en "contexte de soins primaires".
Il demande en outre aux autorités sanitaires de "changer de stratégie en cas de preuve d'une efficacité, en prévoyant dès aujourd’hui les stocks et les mesures nécessaires à ce changement de stratégie".
sb/nc/APMnews

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