PARIS, 27 mars 2020 (APMnews) - Les académies de médecine et de pharmacie s'inquiètent dans un communiqué commun diffusé jeudi soir des risques de dérive dans l'utilisation de l'hydroxychloroquine dont un intérêt potentiel contre le coronavirus Sars-CoV-2 a été médiatisé.
L'utilisation contre le coronavirus de cette molécule actuellement utilisée en France dans des maladies rhumatologiques et dans d'autres pays dans le paludisme, est prônée par le Pr Didier Raoult de de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée infection de Marseille, qui a montré une activité de cette molécule sur un petit nombre de patients (cf
dépêche du 20/03/2020 à 11:22).
L'hydroxychloroquine (Plaquenil*, Sanofi) va être évaluée de façon plus approfondie dans l'étude Discovery qui compare plusieurs candidats au traitement de l'infection à Sars-CoV-2 (
dépêche du 19/03/2020 à 15:58). Dans l'attente de résultats, le Haut conseil de la santé publique (HCSP), tout en ne recommandant pas d'utiliser ce produit de façon générale, a ouvert la porte à une utilisation exceptionnelle dans les formes graves hospitalières, "sur décision collégiale des médecins et sous surveillance médicale stricte" (
dépêche du 23/03/2020 à 22:04), et cela a été autorisé par un décret ministériel (
dépêche du 26/03/2020 à 11:41).
Mais à la suite de la médiatisation des résultats du Pr Raoult les pharmaciens d'officine font face à une demande croissante pour ce médicament (cf
dépêche du 24/03/2020 à 15:10).
Dans leur communiqué, les académies estiment qu'"au vu des données actuelles de la science, la démonstration de l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine n’est pas faite à ce jour", même si "des présomptions existent" sur une efficacité.
Quel intérêt pour les patients en détresse respiratoire ?
Elles s'étonnent en revanche de l'autorisation d'utilisation chez les malades hospitalisés en détresse respiratoire, car "la charge virale est, à ce stade, le plus souvent inexistante et la maladie n’est plus une virose stricto sensu mais une défaillance pulmonaire (syndrome de détresse respiratoire aigu) liée à l’inflammation induite par le Sars-CoV-2".
Par ailleurs, les deux académies font part de leurs inquiétudes notamment sur les achats d’hydroxychloroquine par des personnes non atteintes, "à des fins souvent plus préventives que curatives, à "des posologies individuelles" et "sans surveillance médicale stricte".
Elles craignent qu'un contrôle électrocardiographique ne soit pas fait, ni initialement ni durant le suivi, et que les patients ignorent les interactions qui pourraient exister entre l'hydroxychloroquine et d'autres médicaments qu'ils consomment, en particulier les patients âgés et polymédiqués.
Les académiciens se préoccupent également de la vente d’hydroxychloroquine sur internet, "voire de la vente de médicament falsifié".
Enfin ils soulignent, comme cela a déjà été fait par d'autres ces derniers jours, la "difficulté prévisible de se procurer l’hydroxychloroquine" pour les patients chez qui elle est "indispensable à la poursuite de leur traitement habituel".
Allongement du QT, interactions médicamenteuses, contre-indications
Sur le site du Réseau français des centres de pharmacovigilance (RFCRPV), un texte mis en ligne en début de semaine rappelle que tant que la chloroquine que l'hydroxychloroquine ont un risque de prolongation de l'intervalle QT (induisant un risque d'arythmie grave). Ce risque est "majoré par l’hypokaliémie et par l’association de plusieurs médicaments allongeant le QTc, facteurs de risque souvent présents chez les patients infectés par le Sars-CoV-2".
Le lopinavir (dans Kaletra*, AbbVie), également évalué contre le Sars-CoV-2, et l’azithromycine qui a été associée à l'hydroxychloroquine par Didier Raoult augmentent aussi le QT.
Le site du RFCRPV répertorie aussi les contre-indications (rétinopathie...), précautions d'emploi dans plusieurs pathologies (diabète, épilepsie, Parkinson…), des interactions médicamenteuses (escitalopram, dompéridone, hypoglycémiants, ciclosporine…) et des risques d'intoxication associés aux surdosages.
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