WASHINGTON, 22 avril 2020 (APMnews) - Une étude rétrospective conduite auprès de vétérans américains met en évidence une fréquence de décès plus de deux fois supérieur chez les patients atteints de Covid-19 et traités par hydroxychloroquine (Plaquenil*, Sanofi).
Cette étude a été publiée en preprint mardi sur la plateforme medRxiv et n'a pas fait l'objet de validation par les pairs.
Joseph Magagnoli de l'université de Caroline du Sud à Columbia et ses collègues rappellent que le recours à l'hydroxychloroquine chez les patients atteints du Covid-19 a été autorisé par la Food and Drug Administration (FDA). Elle est largement utilisée outre-Atlantique sur la base de données observationnelles limitées, notent-ils.
Ils ont conduit une analyse rétrospective de 368 patients, tous des hommes, hospitalisés pour Covid-19 dans plusieurs établissements administrés par le département américain des anciens combattants jusqu'au 11 avril.
Ils ont comparé les patients traités par hydroxychloroquine seule (97 personnes), associée à l'azithromycine (113 patients) à ceux ayant bénéficié d'une prise en charge dite standard (158). Les auteurs précisent qu'il y avait des différences entre les différents groupes, notamment en termes de comorbidités.
Les deux principaux critères d'évaluation étaient les taux de décès et de recours à la ventilation mécanique.
Ils rapportent un taux de décès de 27,8% chez les patients exposés à l'hydroxychloroquine seule, de 22,1% chez ceux ayant reçu hydroxychloroquine + azithromycine et de 11,4% dans le groupe contrôle.
En ajustant en fonction de différents facteurs de confusion, notamment les comorbidités, ils estiment un risque de décès plus de deux fois supérieur dans le groupe hydroxychloroquine seule par rapport au groupe contrôle (HR=2,61, différence statistiquement significative). Mais le surrisque n'est pas statistiquement significatif dans le groupe ayant aussi reçu de l'azithromycine.
Ils n'ont pas retrouvé de différence en termes de recours à la ventilation mécanique.
Les auteurs reconnaissent les limites de leur étude, mais estiment néanmoins que jusqu'à ce que des résultats d'essais randomisés soient disponibles, il convient d'utiliser l'hydroxychloroquine avec prudence.
Elle porte sur plusieurs centaines de milliers de patients nouvellement traités pour leur polyarthrite rhumatoïde par hydroxychloroquine ou sulfasalazine et suivis 30 jours. Les auteurs ont également analysé le risque d'effets secondaires graves associés à la bithérapie hydroxychloroquine + azithromycine versus hydroxychloroquine + amoxicilline. Les données ont été collectées en Allemagne, au Japon, aux Pays-Bas, en Espagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
Jennifer Lane de l'université d'Oxford et ses collègues n'ont pas mis en évidence de surrisque d'effets indésirables graves à 30 jours de l'hydroxychloroquine par rapport à la sulfasalazine. En revanche, lorsque l'azithromycine était ajoutée à l'hydroxychloroquine, ils ont observé un risque de mortalité cardiovasculaire à 30 jours plus que doublé et des surrisques de douleurs thoraciques/angor (HR=1,15) et d'insuffisance cardiaque (HR= 1,22). Les auteurs l'expliquent par l'effet synergique de l'hydroxychloroquine et de l'azithromycine sur le risque d'allongement de l'intervalle QT.
Probablement entre 40 et 80 décès liés à l'hydroxychloroquine en France
Par ailleurs, de premières données de pharmacovigilance françaises, rendues publiques le 10 avril par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), montrent que quatre décès par mort subite associés à la prise d'hydroxychloroquine dans le Covid-19 ont été déclarés en une dizaine de jours, rappelle-t-on (cf
dépêche du 02/04/2020 à 18:02 et
dépêche du 10/04/2020 à 18:27).
Contacté mercredi par APMnews, le Pr Jean-Louis Montastruc, du CHU de Toulouse et membre de l'académie nationale de médecine, estime que les résultats de l'enquête de pharmacovigilance sont "très importants et très inquiétants": ils constituent un signal de risque cardiovasculaire "fort" associé à l'hydroxychloroquine.
Le pharmacologue considère qu'en raison du phénomène très important de sous-notification, si on extrapole ce risque à l'ensemble de la population française, on peut estimer qu'il y a eu 40 à 80 décès associés à l'hydroxychloroquine en France, en plus des 20.000 morts attribués au Covid-19. "Ces 40 à 80 décès auraient été évitables", a-t-il estimé.
Le médecin a précisé à APMnews être d'autant plus "inquiet" qu'une série de causes pharmacologiques expliquent ce risque:
- l'hydroxychloroquine est un dérivé de la quinine qui allonge l'intervalle QT (ce qui augmente le risque d'arythmie)
- l'azithromycine est un antibiotique qui allonge l'intervalle QT
- l'azithromycine appartient à la famille des macrolides, inhibiteurs enzymatiques qui potentialisent l'effet de l'hydroxychloroquine
- la plupart des patients traités sont âgés et présentent de fait un allongement physiologique du QT
- dans le Covid-19, une hypokaliémie est constatée, or celle-ci est un facteur de risque de trouble du rythme cardiaque
- le Covid-19 induit des atteintes cardiaques.
A la lumière de ces données, le Pr Montastruc juge que l'hydroxychloroquine ne doit pas être utilisée "en dehors des essais cliniques", dans le Covid-19. Il précise que ces remarques ne s'appliquent pas aux patients atteints de pathologies inflammatoires chroniques, comme la polyarthrite rhumatoïde ou de lupus, qui doivent poursuivre leur traitement.
Ces données défavorables de sécurité s'ajoutent à celles récemment publiées (un essai randomisé chinois et une étude rétrospective française), suggérant l'absence d'efficacité de l'hydroxychloroquine seule, rappelle-t-on (cf
dépêche du 15/04/2020 à 12:24).
vib/fb/APMnews