(Par Wassinia ZIRAR, au congrès de la HIMSS)
ORLANDO (Floride), 21 mars 2022 (APMnews) - Les acteurs proposant des solutions de soins virtuels, d'imagerie avancée ou encore de traitement naturel du langage et des technologies autour de la voix ont essaimé dans les allées du centre des conventions d'Orlando, marquant les grandes tendances du congrès de la HIMSS (Healthcare Information and Management Systems Society) qui s'est tenu du lundi 14 au vendredi 18 mars.
Eprouvé par la pandémie de Covid-19, le congrès a réuni environ 20.000 visiteurs pour sa 60e édition et son grand retour en présentiel. Deux fois moins que les 40.000 attendus, mais le format retenu cette année était en "phygital" et les organisateurs ont proposé des retransmissions en ligne des conférences prévues toute la semaine, rappelle-t-on (cf
dépêche du 11/03/2022 à 16:48).
Dans les allées du salon, les visiteurs ont pu croiser près de 1.000 stands installés dans quatre halls et découvrir les innovations en santé de demain.
Le directeur du fonds "recherche et innovation" de la FHF, Enguerrand Habran et le conseiller à la stratégie du groupement d'intérêt public (GIP) Mipih (Midi-Picardie informatique hospitalière), Philippe Bédère, n'ont pas compté les kilomètres avalés pendant les cinq jours du congrès pour noter les tendances qui ont marqué le salon. Ils les ont partagées avec APMnews vendredi, à la fin du salon.
Omniprésente à HIMSS 2022, "la responsabilité populationnelle" n'est cependant "plus une tendance chez eux, ils sont en train de l'industrialiser et nous ne sommes même pas encore dessus chez nous, c'est terrible car ce sont des technologies qui font émerger de nouvelles organisations. La grosse problématique que l'on a en France, c'est le manque de culture digitale de nos décideurs qui n'ont pas compris que ce sont des outils qui structurent nos organisations", a d'emblée relevé l'expert de la FHF.
Ce concept, porté depuis plusieurs années par la FHF et inscrit dans la loi "Ma santé 2022" de juillet 2019, vise à rassembler les acteurs d'un territoire (hospitaliers, libéraux, élus, associations…), autour d'un objectif commun qui est la santé et le bien-être de la population.
Depuis 2018, cinq territoires se sont lancés dans cette démarche qui bénéficie de 100.000 euros par an, sur quatre ans et par territoire, au titre des expérimentations "article 51": Deux-Sèvres, Cornouaille, Douaisis, Haute-Saône et Aube-Sézannais (cf
dépêche du 22/05/2019 à 08:40 et
dépêche du 04/10/2019 à 13:58). Deux pathologies ont été choisies pour commencer: le diabète de type 2 et l'insuffisance cardiaque, rappelle-t-on.
Globalement, ce modèle vise à garder les gens en bonne santé avec un triple objectif de meilleure santé pour la population, meilleure prise en charge des patients et meilleur coût pour la société.
Il s'inscrit dans la stratégie de santé des hôpitaux américains (cf
dépêche du 16/03/2022 à 09:06) qui investissent massivement dans les nouvelles technologies et nouent des partenariats avec des industriels pour faire évoluer leur système de santé.
"Le budget consacré au numérique dans les hôpitaux américains représente 5,4% du budget global alors qu'en France, il est de 1,8%, c'est trois fois moins", a notamment déploré Enguerrand Habran, qui prévient: "Si l'hôpital français ne fait rien sur la responsabilité populationnelle, d'autres le feront."
Si le système de santé tricolore n'adopte pas cette innovation organisationnelle et structurelle, cela laissera aux établissements de santé un rôle moindre de "plateau technique". "Nous irons nous faire opérer à l'hôpital et tout le reste se fera en dehors."
"Le concept et le potentiel sont à peu près clairs en France mais dans la mise en oeuvre de la responsabilité populationnelle, nous n'y sommes pas du tout", a également regretté Philipe Bédère.
Une autre tendance a pris d'assaut les allées du salon: l'imagerie avancée, "pour laquelle l'intervention humaine est de moins en moins nécessaire", a noté Enguerrand Habran.
Proposée par Fujifilm, la technologie Synapse* consiste en une plateforme "pour l'optimisation des soins" et la reconstruction 3D de l'image, qui doit être "prochainement utilisée par la chaire innovation de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris [AP-HP]".
"Ce sont les prémices des jumeaux anatomiques numériques qui permettent de mieux préparer des opérations en préopératoire et d'avoir des plans de coupe en peropératoire pour apporter de l'information supplémentaire aux soignants."
"Par rapport à d'autres acteurs que nous connaissons en France, Synapse a tout automatisé et ils sont capables de différencier les systèmes veineux, artériel, nerveux, lymphatique et de distinguer anatomie 'normale' et pathologique sur tous les organes. Ils ont des années d'avance", a expliqué le directeur du fonds recherche et innovation de la FHF.
Par ailleurs, de plus en plus de fabricants ne se contentent plus de vendre "la machine" seule et proposent désormais le service qui l'accompagne pour mieux organiser et piloter l'activité d'imagerie des établissements. Une logique de "plateformisation" que l'on a retrouvée chez Philips (cf
dépêche du 18/03/2022 à 09:03), GE Healthcare ou encore Siemens Healthineers.
Le boom des soins virtuels
Accéléré par la pandémie de Covid-19 et les confinements successifs dans tous les pays, le virtual care (ou les soins virtuels) a occupé une grande partie du salon.
"Le virtual care explose et en matière d'activités de soins, tout ce que nous pouvons déporter en dehors des établissements l'est. Il y avait par exemple Amazon avec son assistante virtuelle Alexa, qui propose des services de télésanté. C'est la grosse tendance, tout le monde proposait sa solution de virtual care, plus ou moins poussée", a fait remarquer Enguerrand Habran.
"Il y avait des acteurs qui proposaient carrément de substituer le suivi du professionnel de santé sur certains actes et d'autres qui proposaient des solutions sur l'engagement des patients. Nous sentons que beaucoup voient les patients comme des clients qu'il faut garder."
Beaucoup de solutions, à l'instar de celle d'Amazon, reposent sur l'affordability ou "l'abordabilité". C'est-à-dire qu'elles s'appuient essentiellement sur une technologie connue et déjà éprouvée dans la vie quotidienne, qui ne nécessite pas un apprentissage particulier de la part des patients.
"Amazon a une stratégie assez puissante qui consiste à se baser sur leur technologie, que les gens connaissent", a illustré l'expert de la FHF.
"La crise du Covid-19 a aidé à faire mûrir ce sujet du virtual care et cette technologie est complémentaire avec la responsabilité populationnelle, qui pourra se faire plus facilement et favorisera l'accessibilité des soins. La principale problématique des systèmes de santé est de savoir comment aller chercher les patients qui sont en dehors du système de soins et mettre en place une stratégie de gestion de population, cela peut se faire en apportant les soins et le virtuel aux patients", a-t-il complété, déplorant le retard de la France.
"Le monde entier converge vers ces systèmes de haute performance. L'Espagne, qui était très en retard, a vite rattrapé tout le monde car le pays est sur ce créneau de la responsabilité populationnelle et du virtual care. Il y a besoin d'un signal des pouvoirs publics pour que les acteurs du numérique se disent 'OK, il y a un marché en France, je peux proposer quelque chose'."
Un point de vue partagé par Philippe Bédère, qui a noté "une orientation très business du virtual care", modèle américain oblige.
La voix se fait entendre en santé
Dernière tendance prégnante du congrès: la voix.
Le leader du domaine, Nuance Healthcare, a notamment présenté son outil DAX, une solution d'IA clinique "ambiante" qui détecte et retranscrit automatiquement les échanges entre un professionnel et son patient pour faire gagner du temps aux soignants (cf
dépêche du 14/03/2022 à 17:00).
Au total, une quinzaine d'acteurs a exposé diverses innovations pour exploiter le potentiel de "la voix" en santé, à l'instar de la société californienne Suki AI ou de l'entreprise new-yorkaise LivePerson.
La tendance a marqué l'événement et elle allait du classique speech-to-text, technologie capable de retranscrire automatique des conversations en texte, à l'analyse plus poussée de ces textes pour accompagner les soignants dans leur travail.
"Certaines innovations allaient plus loin que la voix et proposaient des solutions sur la qualité de la donnée issue de la voix. Il y avait énormément de start-up qui proposaient des outils sur la qualité des données a posteriori et les gros acteurs commencent à travailler sur la qualité de la donnée a priori au niveau de la collecte", a résumé Enguerrand Habran.
Mais la technologie gagne encore à être améliorée. "Avec le speech-to-text, nous pouvons déjà tout capter mais la donnée sera non structurée. Si après nous rajoutons une technologie qui est capable d'aller comprendre que ceci est un symptôme, cela un antécédent, etc., nous atteignons des niveaux de complexité importants. C'est cette approche qu'il faut avoir pour faire de la donnée structurée et être efficace", a-t-il commenté.
Le cloud était également très présent dans les argumentaires des exposants: "Salesforce nous a dit sur son stand que le cloud est 'la garantie de la soutenabilité', par exemple", a noté Philippe Bédère.
Très à la mode il y a quelques années, l'IoT [internet of things ou internet des objets] n'est plus mis en avant. "Tout le monde utilise des smartphones aujourd'hui, nous le voyons bien", a remarqué le conseiller à la stratégie du Mipih.
Il a également partagé sa surprise quant à l'absence de grands acteurs de la cybersécurité, pourtant devenue un sujet central en santé.
"Il y avait quelques petits stands dans un coin, le Cybersecurity Command Center, mais aucun grand nom, j'étais très étonné."
Pour la 60e édition du congrès HIMSS, trois sociétés tricolores ont exposé leurs solutions dans les allées, rappelle-t-on (cf
dépêche du 15/03/2022 à 11:00).
Nous avons ainsi retrouvé l'entreprise bordelaise Synapse Medicine, qui développe une plateforme dotée d'intelligence artificielle pour le bon usage du médicament, la start-up française Chronolife, spécialisée dans les dispositifs médicaux dont on peut se vêtir (wearables) et la société montpellieraine Thess Corporate, qui conçoit un dispositif médical de sécurisation et d'ajustement en temps réel de la délivrance des médicaments par voie orale.
Enguerrand Habran et Philippe Bédère ont souligné la pertinence de leurs innovations, prometteuses. "Les Français n'avaient pas à rougir sur le salon", ont-ils salué.
wz/nc/APMnews