PARIS, 19 avril 2022 (APMnews) - Quatre professeurs de médecine ou de pharmacie honoraires ou émérites appellent, dans une tribune publiée samedi par Le Monde, à la création d'un établissement public à but non lucratif pour mieux coordonner la relocalisation de la production de médicaments, qui ne doit, selon eux, pas être totalement laissée à la maîtrise de l'industrie pharmaceutique.
Alain Astier, professeur honoraire de pharmacologie de l'hôpital Henri-Mondor (Créteil, AP-HP) et membre de l'Académie nationale de pharmacie, François Chast, président honoraire de cette académie, André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière (Paris, AP-HP) et Jean-Paul Vernant, professeur émérite d'hématologie à la Pitié-Salpêtrière et vice-président de la Ligue contre le cancer, jugent qu'il serait "paradoxal de donner à l'industrie pharmaceutique la maîtrise d'oeuvre de la relocalisation, alors qu'elle a été responsable de ces délocalisations délétères uniquement pour des raisons de profitabilité et qu'elle pourrait en saisir l'occasion pour de nouvelles augmentations indues des prix".
Ils citent l'exemple de Servier, qui devait bénéficier d'une subvention de 800.000 euros pour la production de cinq médicaments "ne répondant pourtant pas aux critères de MITM [médicaments d'intérêt thérapeutique majeur] (plusieurs de ces produits étaient inefficaces, et même dangereux)" dans le cadre d'un appel à projets "relocalisation" lancé par le ministère de l'économie et des finances (cf
dépêche du 17/02/2022 à 14:20). Sous la pression des associations des victimes de Mediator* (benfluorex), la subvention a été annulée, mais la ministre chargée de l'industrie, Agnès Pannier-Runacher, "a semblé regretter la chose en précisant que le projet d'investissement présenté par Servier 'répondait bien au cahier des charges de l'appel à projets'", rappellent les signataires de la tribune (cf
dépêche du 28/03/2022 à 06:05).
"Il convient donc de se poser la question du bien-fondé de ce cahier des charges, et plus globalement de ce qui devrait être relocalisé et de la méthode à employer", estiment-ils.
La responsabilité de la coordination de la relocalisation "pourrait en revenir à un 'établissement français du médicament'" qui "utiliserait les compétences de chimie et de façonnage locales dans le cadre d'un partenariat public-privé", proposent-ils, prenant exemple sur Civica, une organisation américaine issue du regroupement de plusieurs centaines d'établissements de santé, qui agissent comme donneurs d'ordre pour la fabrication de produits génériqués afin de prévenir et réduire le risque de pénurie. Cette initiative est née d'un manque de confiance dans l'industrie pharmaceutique, jugée responsable de la multiplication des pénuries associées à une dérive des prix, soulignent-ils.
L'établissement public français serait chargé en particulier d'identifier les médicaments anciens, génériquables et faisant l'objet de délocalisation en raison d'une marge bénéficiaire moins élevée. "Ce sont ces médicaments anciens, représentant encore l'essentiel de l'éventail thérapeutique, qui, du fait d'une production complexe et désordonnée, sont l'objet de ruptures d'approvisionnement", observent les quatre professeurs, qui citent les anti-cancéreux, les antibiotiques, les corticoïdes et les vaccins parmi ces produits "dont on peut et doit relocaliser la production".
"Au bout de mois de pénurie, ces médicaments ne réapparaissent souvent qu'après une envolée de leurs prix", regrettent-ils, tandis que les innovations thérapeutiques, "en général très lucratives", ne font "pas l'objet de pénurie". Les innovations sont en outre "la propriété de laboratoires pharmaceutiques, le plus souvent étrangers, avec une licence toujours valide" et leur lieu de production dépend donc "du bon vouloir de leur détenteur".
Pour les signataires, la France peut compter sur ses laboratoires de chimie fine "qui ont toutes les compétences pour produire des principes actifs, ce qu'ils faisaient avant les délocalisations, il y a une quinzaine d'années" et sur ses "nombreux façonniers qui travaillent déjà comme sous-traitants des laboratoires pharmaceutiques".
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