PARIS, 4 juillet 2022 (APMnews) - Près de 10% services d'urgence sont "en situation de fermeture partielle", selon les résultats d'une enquête de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) prévoyant "une tendance généralisée à la dégradation" de la situation "dans les prochaines semaines" mentionnée dans le rapport de la mission flash sur les urgences confiée au président de Samu-Urgence de France (SUdF), le Dr François Braun, publié vendredi.
Au côté de la quarantaine de recommandations faites pour permettre aux services d'urgence de surmonter les tensions inédites qui s'annoncent pour l'été, la mission conduite par le Dr Braun a assorti sa quarantaine de recommandations d'un état des lieux global des services d'urgence, conformément au souhait du président de la République, Emmanuel Macron, lorsqu'il avait annoncé le lancement de cette mission début juin à Cherbourg (cf
dépêche du 01/06/2022 à 08:18).
Le rapport mentionne ainsi une enquête menée par la DGOS faisant apparaître que "sur les 446 services d'urgence pris en compte dans le cadre de cette enquête, pas moins de 49 sont en situation de fermeture partielle, 34 voient leur accès régulé, et 6 sont totalement fermés".
La DGOS a indiqué que les trois quarts des départements connaissaient "au moins une difficulté de tension RH [...], essentiellement en matière d'attractivité pour le personnel médical (74%), mais également pour le personnel non médical (39%)".
Les résultats de l'enquête menée par la DGOS présagent par ailleurs "une tendance généralisée à la dégradation […] dans les prochaines semaines".
De son côté, Samu-Urgences de France a recensé pour la mission une liste "non exhaustive de 133 services d'urgence en difficulté (dont 11 dans les CHU et les deux CHR)".
La très grande majorité de ces services (119 sur 133) "souffre d'une pénurie de médecins urgentistes qui amène à supprimer des lignes de présence médicale, principalement la nuit", tandis que la moitié des services souffrent également d'un manque de personnel paramédical et de difficultés pour obtenir un lit d'aval pour les urgences.
"L'intérim médical est très largement sollicité, créant un déséquilibre entre la demande et l'offre propice à des dérives financières", a également noté SUdF.
Quatre difficultés principales identifiées
Le rapport de la mission Braun mentionne également les conclusions de l'enquête menée par la conférence des présidents de commission médicale d'établissement (CME) de centres hospitaliers (CH) entre fin mai et début juin (cf
dépêche du 24/06/2022 à 17:56), faisant état de difficultés des services d'urgence "principalement liées" à un manque d'urgentistes (77% des établissements), de paramédicaux (60%), de médecins de ville (64%), et aux carences de lits d'aval (60%).
Dans son état des lieux, la mission Braun cite aussi une enquête flash conduite par la Fédération de l'hospitalisation privée médecine-chirurgie-obstétrique (FHP-MCO) auprès de des établissements du secteur privé lucratif possédant un service d'urgence (90% de réponses sur 107 établissements).
La FHP-MCO indique notamment que la grande majorité (87 sur 107) des établissements déclarent ne pas disposer de financement pour la permanence des soins en établissements de santé (PDSES) pour les urgentistes.
"Au cours des cinq derniers mois, 19 établissements ont eu recours à des fermetures de SU [service d'urgence] en journée, 24 la nuit et 13 ont dû fermer leur UHCD [unité d'hospitalisation de courte durée]", complète le rapport en citant l'enquête de la FHP-MCO. "Ces fermetures étaient liées, à parts égales, à la pénurie d'IDE [infirmiers diplômés d'Etat] ou de médecins urgentistes."
La mission Braun s'est également fait l'écho des résultats partiels de l'enquête "nuits blanches" lancée par l'intersyndicale Action Praticiens Hôpital (APH), en rapportant que "la pénibilité de la permanence des soins [mènerait] près de trois quarts des médecins à considérer l'hypothèse d'un départ de l'hôpital public dans les cinq ans".
Cette consultation nationale des praticiens hospitaliers (PH) a notamment fait apparaître la pénibilité des gardes et astreintes pour les PH qui les assuraient, mais leur rémunération "très insuffisante" (88% des sondés se disent mal ou très mal payés) pousserait une grande partie des PH interrogés à envisager un départ, selon les résultats définitifs de l'enquête (cf
dépêche du 01/07/2022 à 17:59).
Enfin, le rapport s'appuie sur des données fournies par la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) pour mettre en lumière la perte de densité médicale, "passée de 79,8 à 77,8 médecins pour 100.000 habitants en cinq ans, et devenue de plus en plus inégalitaire entre territoires".
"Ce constat tend à accréditer l'idée d'un potentiel à exploiter autour d'une meilleure articulation entre urgences hospitalières et soins non programmés de ville, à travers le rapprochement des acteurs et une meilleure structuration du système d'adressage des patients", en a conclu la mission Braun. "Une attention renforcée à cette articulation apparaît déterminante sur les périodes de plus faible activité globale pour la médecine libérale (été et tous les week-ends de l'année)."
Un bilan critique de la mise en oeuvre du pacte de refondation des urgences
Dans son rapport, la mission Braun a également procédé à un bilan de la mise en oeuvre du "pacte de refondation des urgences" annoncé en septembre 2019 après un mouvement social de plusieurs mois engendré par une situation déjà critique des urgences hospitalières (cf
dépêche du 09/09/2019 à 17:13).
Sur le service d'accès aux soins (SAS), mesure-phare du pacte en 2019 (cf
dépêche du 09/09/2019 à 20:11), la mission s'est félicitée de la mise en service, pour le moment, de 21 des 22 sites pilotes, en assurant que "leur mise en oeuvre [était] reconnue comme positive, voire très positive, par les urgentistes et les généralistes libéraux", tout en reconnaissant que les "données objectives sont malheureusement insuffisantes pour chiffrer précisément les effets des SAS".
La mission Braun a ajouté que les difficultés de densité et de démographie médicale précitées venaient aussi gêner le volet effection du service d'accès aux soins, c'est-à-dire l'éventuelle prise en charge dans la filière ambulatoire des patients orientés par le SAS qui le nécessiteraient.
Le principal obstacle reste cependant tarifaire pour la mission Braun, qui se fait l'écho des critiques sur un avenant 9 à la convention entre les médecins libéraux et l'assurance maladie jugé "bloquant, trop complexe", par les médecins généralistes libéraux.
La mission a également relevé le niveau de maturité "très hétérogène" des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), "tout comme leur implication pratique dans l'organisation de la réponse aux soins non programmés" qui leur incombent normalement.
Plusieurs mesures insuffisamment évaluées
Si elle constate que 2,5 millions d'euros (M€) ont bien été alloués en 2019 pour financer 50 maisons médicales de garde (MMG) supplémentaires, "aucune évaluation sur le nombre réel et l'activité de ces MMG n'a été conduite à ce jour", ajoute-t-elle dans son rapport.
Même constat pour les équipes mobiles de gériatrie ou les filières d'admission directe des personnes âgées sans passage aux urgences, mesure du pacte pour laquelle la mission Braun réclame un pilotage renforcé faute d'évaluation des résultats atteints sur la base des financements déjà versés, soit 65 M€ pour 100 M€ par an d'incitation.
La mission flash note que le renforcement du contrôle de l'intérim médical prévu dans le pacte est toujours en suspens alors que le plafonnement de la rémunération des intérimaires, prévu par l'article 33 de la loi Rist du 26 avril 2021, avait été repoussé à 2022 "sur la pression des syndicats de praticiens hospitaliers" (cf
dépêche du 26/10/2021 à 12:02).
Enfin, la mission souligne que l'indicateur de besoin journalier minimal en lits (BJML), à disposition de tous les établissements et groupements hospitaliers de territoire (GHT) depuis décembre 2019, reste insuffisamment utilisé pour anticiper les besoins en lits d'aval des urgences hospitalières.
"Même si plusieurs textes d'application ont été élaborés et publiés, les mesures du pacte de refondation des urgences ne sont pas encore suffisamment appropriées et mises en oeuvre sur le terrain", en a conclu la mission Braun. "Ce retard et ces difficultés d'application qui ne peuvent être imputés à la seule épidémie de Covid 19, doivent être rapidement comblés car ils ont leur part de responsabilité dans la crise actuelle des services d'urgence."
gl/nc/APMnews