KENILWORTH (New Jersey), 5 décembre 2022 (APMnews) - Merck & Co espère breveter une nouvelle formulation en injection sous-cutanée de son immunothérapie anticancéreuse Keytruda* afin de prolonger le brevet initial qui pourrait expirer en 2028, a rapporté Reuters vendredi.
Keytruda* était le premier représentant des anti-PD-1 homologué aux Etats-Unis en 2014 dans le mélanome avancé ou non résécable, rappelle-t-on (cf
dépêche du 05/09/2014 à 10:51). Il a ensuite décroché plusieurs extensions d'autorisations de mise sur le marché (AMM), notamment dans le cancer du poumon non à petites cellules (NAPC), le lymphome hodgkinien, ou dans l'adénocarcinome gastrique.
Le traitement représente désormais plus d'un tiers des ventes de Merck & Co et a atteint un chiffre d'affaires de 17,2 milliards de dollars en 2022 (cf
dépêche du 03/02/2022 à 15:38). Néanmoins, ses principaux brevets commenceront à expirer en 2028, ce qui ouvrira la voie à la concurrence des biosimilaires.
Le groupe américain évalue dans le cadre d'essais cliniques deux formulations du médicament en injection sous-cutanée incarnant une alternative rapide à la méthode actuelle d'administration par perfusion intraveineuse une fois toutes les trois ou six semaines. Le laboratoire a communiqué les premières données de l'un de ces essais en 2021.
En cas de succès, le groupe pourrait commencer à commercialiser la nouvelle présentation d'ici quelques années, a déclaré à Reuters Caroline Litchfield, directrice financière de Merck. Elle s'attend à ce que cette présentation alimente la croissance de Keytruda* à mesure qu'elle serait homologuée dans des cancers à un stade plus précoce.
"Nous pensons que la voie sous-cutanée a le potentiel d'être nouvelle, inventive et utile, ce qui signifie que nous obtiendrions un nouveau brevet" selon les critères fixés par la loi américaine, a-t-elle affirmé. "La durée de protection commencerait à partir du moment où nous obtiendrions ce brevet", a-t-elle précisé.
La loi américaine prévoit que les brevets sur les médicaments accordent une durée d'exclusivité garantie de 20 ans après l'obtention du titre, mais les sociétés peuvent y ajouter des brevets supplémentaires via la pratique des "
patent thickets" qui consiste à demander de multiples brevets pour des variations, parfois mineures, sur un même produit afin de repousser l'arrivée sur le marché des génériques. Ainsi, le brevet principal d'Humira* (adalimumab, Abbvie) a expiré en 2016, mais le médicament ne sera confronté à la concurrence sur le marché américain qu'en 2023, en partie parce qu'Abbvie a obtenu plus de 130 brevets pour le protéger (cf
dépêche du 08/08/2016 à 12:29).
"Keytruda* sera le prochain Humira*"
"C'est comme ça que les entreprises pharmaceutiques utilisent le système maintenant, en occupant le plus d'espace possible et en rendant difficile l'entrée de quiconque [sur le marché]", a déclaré Tahir Amin, cofondateur de l'organisation non gouvernementale (ONG) américaine Initiative for Medicines, Access and Knowledge (I-MAK). Les brevets de Merck & Co sur la version sous-cutanée de Keytruda* pourraient la protéger au moins jusqu'en 2040, a-t-il estimé, jugeant que "Keytruda* sera le prochain Humira*".
Interrogé sur la question de savoir s'il était davantage motivé par des enjeux de brevets que par le besoin médical, Merck & Co a répondu qu'il se concentrait en permanence sur l'amélioration de Keytruda* et sur la possibilité de le proposer à un plus grand nombre de patients. Il a ajouté qu'il pourrait demander des brevets pour des innovations sur la façon dont le médicament est utilisé, sa formulation, la posologie et les combinaisons avec d'autres médicaments.
"Ces demandes de brevet, si elles sont accordées, peuvent fournir des degrés variables de protection au-delà de 2028. Cependant, nous continuons de penser que fin 2028 est la date la plus probable d'entrée des biosimilaires sur le marché", a déclaré le groupe.
"En théorie, la présentation sous-cutanée de Keytruda* pourrait remplacer toutes les présentations utilisées actuellement", a affirmé Eliav Barr, directeur médical de Merck & Co, sauf en cas d'administration simultanée avec une chimiothérapie ou d'autres médicaments par intraveineuse.
Les analystes s'attendent à ce que le chiffre d'affaires de Keytruda* dépasse 30 milliards de dollars en 2026 et 35 milliards de dollars en 2028, selon les données compilées par Reuters.
Evan Seigerman, du groupe d'investissement BMO Capital, a estimé que la nouvelle formulation permettrait à Merck & Co de conserver jusqu'à 20% de ses revenus de Keytruda* dans les années 2030. Il a néanmoins rappelé que les assurances américaines pourraient rechigner à payer pour le princeps, plus cher, et lui préférer une version biosimilaire en perfusion.
Reste à déterminer si la nouvelle voie d'administration représente une amélioration clinique suffisamment significative par rapport aux perfusions intraveineuses, justifiant des dépenses de santé supplémentaires. "Je ne pense pas que cela va améliorer la sécurité ou l'efficacité du médicament", a avancé le Dr Shailender Bhatia, oncologue au Fred Hutchinson Cancer Center de Seattle.
Selon le directeur médical de Merck & Co, la nouvelle formulation plus facile à utiliser pourrait au contraire permettre aux patients de continuer à prendre Keytruda*, respecter le calendrier prévu, et éviter à ceux atteints de cancer à haut risque de rester longtemps à l'hôpital où ils pourraient être exposés à d'autres maladies. "Du point de vue de la qualité de vie du patient, il est certain que cela sera utile", a-t-il affirmé.
Le degré d'utilisation de cette nouvelle formulation aura par ailleurs un impact financier sur les hôpitaux qui touchent généralement moins pour administrer une injection qu'une longue perfusion.
Merck & Co a déclaré ne pas vouloir spéculer sur le prix attendu des produits en cours de développement. Le prix catalogue de la perfusion de Keytruda* aux Etats-Unis est d'environ 185.000 dollars par an.
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