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Isolement et contention: une mesure positive pour les directeurs, mais à éclaicir sur plusieurs points

(Par Marion HENRY, aux Journées de l'Adesm)
PARIS, 28 novembre 2016 (APM) - Les directeurs d'établissements psychiatriques jugent positif l'article 72 de la loi de santé qui encadre les pratiques d'isolement et de contention, mais ont relevé plusieurs contradictions dans la mise en oeuvre, a expliqué un membre de l'Association des établissements du service public de santé mentale (Adesm), lors d'une table ronde vendredi.
L'Adesm a organisé ses journées annuelles jeudi et vendredi sur les "nouveaux horizons de la psychiatrie". La première journée était consacrée "aux territoires et à la territorialité des soins". La seconde journée portait sur les "droits et libertés des patients".
François Courtot, directeur du centre hospitalier (CH) de Rouffach (Haut-Rhin) et coordonnateur de l'Adesm "Droits et libertés des patients", a indiqué qu'au sein de l'Adesm, un "petit groupe" s'était constitué pour se pencher sur les questions d'isolement et contention et sur les soins sans consentement. Ce groupe est composé de directeurs, de juristes et de professionnels de santé. Il réfléchit sur les aspects législatifs et sur la mise en pratique des textes réglementaires, a-t-il détaillé.
L'article 72 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 sur l'isolement et la contention est un "article qui est vécu positivement par les établissements".
Cet article prévoit que l'isolement et la contention sont des pratiques devant être utilisées en dernier recours. Il énonce clairement un objectif d'encadrement et de réduction de ces pratiques. Il prévoit la création d'un registre dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie à assurer des soins psychiatriques sans consentement, rappelle-t-on (cf dépêche du 18/09/2015 à 16:53).
Cet article permet de "pose[r] un problème, qui est un réel. En même temps, et c'est un peu paradoxal, la loi l'officialise, même si elle en souhaite la réduction", a fait remarquer François Courtot.
Il a en outre souligné plusieurs "contradictions" dans cette mesure. "Qu'est-ce qu'on compte ? Est-ce qu'on compte uniquement les chambres qui ont été spécifiquement aménagées pour faire de l'isolement ou est-ce qu'on considère comme lieu d'isolement toutes les pièces fermées à clefs ?", a-t-il demandé. Pour l'Adesm, "il faut compter toutes les pièces, sinon il y a un risque de dérives".
Ensuite, il s'est interrogé sur l'expression "décision du psychiatre" pour ces mesures d'isolement et de contention. "Est-ce une prescription banale, comme on le faisait avant, sauf que, par erreur, le législateur a écrit décision [au lieu de prescription] ou est-ce que le mot de décision a du sens ?". A l'Adesm, "nous pensons que le mot décision a du sens", a-t-il indiqué, précisant que cela serait probablement la jurisprudence qui clarifierait les choses.
Puis, il s'est interrogé sur les "patients" concernés. "Quid des détenus et quid des mineurs ?", a-t-il demandé.
Enfin, il s'est demandé ce que devenaient les pratiques dans ces chambres d'isolement. "Est-ce qu'on est réellement dans une pratique de derniers recours sans que la notion de soins existe encore: tout simplement, le patient se retrouve dans cette chambre car on ne sait plus quoi en faire. Ou est-ce qu'on reste dans une démarche thérapeutique?", a-t-il relevé.
Il a rappelé que la Haute autorité de santé (HAS) travaillait sur cette question (cf dépêche du 23/11/2016 à 12:48) et a estimé que ces travaux permettraient d'éclairer ses points.

Un article applicable "immédiatement"

Pour sa part, le député Denys Robiliard (député SER, Loir-et-Cher) a rappelé que l'article 72 était applicable "immédiatement". "En première lecture, il était fait mention d'un décret pour les modalités d'application. Mais, nous l'avons supprimé [...] en considérant que les dispositions étaient suffisamment précises pour être immédiatement appliquées", a-t-il souligné.
"Donc, si une CDSP [commission départementale des soins psychiatriques] ou un parlementaire vous demandent accès au registre, il faut pouvoir le présenter. Je ne suis pas tout à fait convaincu qu'il existe dans tous les établissements. Je pense même que le nombre d'établissements dans lequel il n'existe pas est supérieur à celui où il existe", a-t-il pointé.
Un projet de circulaire a été rédigé et soumis à concertation pour préciser notamment le contenu du registre, mais sa diffusion n'a pas encore été réalisée, rappelle-t-on (cf APM MH5OE3V2H).
Sur le choix entre prescription et décision, le député a répondu qu'il s'agissait peut-être d'une "erreur" mais qu'elle avait été délibérée. "Il y a eu un débat très clair" sur cette question "qui n'a pas eu lieu devant le Parlement, mais dans les couloirs", a-t-il souligné.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) était "contre la notion de prescription, disant que l'isolement et la contention étaient le plus souvent une mesure de sûreté et de sécurité. Ce n'est pas un soin", a-t-il rapporté. "Je ne dis pas que quelques fois cela peut ne pas l'être notamment pour l'isolement, mais le choix qui a été fait, c'est très clairement d'éviter le mot de prescription, de rester à celui de décision", a renchéri Denys Robiliard.
Vendredi, lors d'une autre table ronde, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, a souligné que les établissements psychiatriques n'étaient toujours pas prêts à appliquer les dispositions de la loi de santé sur l'isolement et la contention (cf dépêche du 25/11/2016 à 17:26).

Réforme des soins sans consentement : des usages contrastés

François Courtot a par ailleurs dressé un bilan des lois de 2011 et de 2013 sur les soins sans consentement.
Il a relevé notamment qu'il existait de grandes disparités régionales et départementales sur le nombre de patients concernés par le programme de soins, "sans que l'on sache expliquer la raison de ces disparités".
Il a constaté des "usages contrastés des nouvelles modalités". Il a noté une hausse des soins de consentements depuis 2011, avec dans certaines régions des diminutions et d'autres des hausses du taux de recours à ces soins.
Il a relevé une "augmentation très sensible" de la procédure de péril imminent. Il a notamment évoqué le fait que la procédure de soins à la demande de représentant de l'Etat soit une procédure plus lourde pour expliquer cette hausse.
François Courtot a estimé qu'il fallait s'interroger sur le maintien ou non de la distinction entre des soins pour protéger la société et des soins pour protéger la personne.

Des publications d'études trop tardives

Une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur la loi sur les soins sans consentement, finalisée depuis le premier semestre, devait être présentée lors de cette table ronde.
Mais la Drees n'a pas donné l'autorisation d'en faire mention, au motif que l'étude n'était "pas validée", a rapporté le président de l'Adesm, Pascal Mariotti. Il a jugé cette décision "un peu incongrue" pour cette étude dont les "données sortent de nos établissements".
"Entre les éléments de langage et la peur qu'on a de son ombre, les données arrivent toujours trop tard", a-t-il regretté, estimant qu'elles ne servaient alors plus "directement à alimenter la décision et l'action des établissements".
mh/ab/APM

[MH1OHCHBA]

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