(Par Valérie LESPEZ, aux Journées de l'Adesm)
PARIS, 28 novembre 2016 (APM) - La nature du "pilote" du projet territorial de santé mentale, ainsi que son périmètre, ont donné lieu à des discussions nourries, jeudi et vendredi, lors des Journées nationales de l'Association des établissements du service public de santé mentale (Adesm), organisées à Paris, notamment sur le thème de la territorialité.
Le projet territorial de santé mentale est prévu par l'article 69 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Un projet de décret est actuellement en discussion dans le cadre du conseil national de santé mentale et doit être prêt pour janvier 2017 (cf
dépêche du 25/11/2016 à 08:51).
Le président de l'Adesm, Pascal Mariotti, a expliqué vendredi, lors d'une table ronde sur la thématique du projet et du contrat territorial de santé mentale, que "l'article 1er du projet de décret nous dit que le projet territorial de santé mentale doit répondre à un objectif de rétablissement", ce qui représente, selon lui, "un changement de paradigme".
En effet, a-t-il ajouté, poursuivant sa lecture du projet de texte, "le but poursuivi n'est plus seulement la stabilisation des troubles, mais la promotion des capacités des personnes, leur maintien ou leur réengagement dans une vie active et sociale choisie".
Le texte évoque les trois champs, sanitaire, social et médico-social, "et pour le champ sanitaire, il s'agit bien de développer les soins ambulatoires", a-t-il aussi précisé.
"L'approche est peut-être encore trop sanitaire", a-t-il jugé, rappelant que c'était "un texte en évolution".
Le président de l'Adesm a également cité les questions auxquelles le projet territorial de santé mentale devait répondre: "Quels délais d'accès à un diagnostic et à une prise en charge adéquate ? Comment est-ce qu'on augmente l'espérance de vie des personnes atteintes de troubles mentaux sévères ? Comment est-ce qu'on prévient et qu'on gère les situations d'urgence et de crise ? Comment est-ce qu'on favorise l'insertion des personnes en situation de handicap psychique ? Comment est-ce qu'on favorise l'empowerment [capacité à être acteur] des personnes et de leur entourage ?"
"Et puis, on peut rajouter la question du panier de soins et de services [développé dans le rapport de Michel Laforcade et pour lequel une instruction est en préparation, cf
dépêche du 25/11/2016 à 08:51, NDLR], et celle de l'accompagnement au domicile", a-il poursuivi.
Michel Girard, vice-président de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), a estimé, lui, que le projet de décret, en l'état, "ne prend pas assez en compte la notion de parcours".
La dimension "exemplaire" des conseils locaux de santé mentale "n'apparaît pas assez dans le [projet de] décret", a-t-il regretté. Il faut "qu'il y ait une communauté d'acteurs qui se retrouvent au niveau du territoire avec ce fameux 'panier' [de services], chacun apportant sa contribution, de façon à ce qu'il y ait une prise en charge qu'aujourd'hui, pour 75% à 80% des cas, les familles assurent", a-t-il asséné.
"Il faut faire monter l'état d'esprit du conseil local de santé mentale au niveau du territoire, du contrat de territoire", a-t-il insisté. Mais il a aussi interrogé: "Le conseil de santé mentale a un pilote […], une seule tête, qui est habilitée à faire venir tout le monde: c'est le maire. Quelle est l'autorité habilitée au niveau du [projet territorial de santé mentale] ? Cela pourrait être la communauté psychiatrique de territoire [CPT] ? Le conseil territorial de santé mentale ?"
De son côté, Jacques Marescaux, président de Santé mentale France, a expliqué que "ce qui [le] frappe [dans le projet de texte], c'est l'absence de tout ce qui n'est pas, soit sanitaire, soit médico-social".
"Si on veut faire des projets territoriaux de santé mentale, il faut que tous les gens qui sont susceptibles d'intervenir sur les déterminants de la santé mentale soient présents dans la construction du projet territorial, dans le diagnostic", a-t-il estimé. "Et cela condamne l'idée que la CPT puisse être le pilote, le siège de l'élaboration du diagnostic et du projet territorial. Il faut que la santé mentale soit l'affaire de tous !"
Mais, selon Pascal Mariotti, si "dans la loi, la CPT n'était pas faite pour ça", elle peut néanmoins être un "outil qui permette, de façon extrêmement transverse, le pilotage du projet territorial de santé mentale". Pour rappel, le décret relatif à la CPT dispose que la communauté "contribue à la définition du projet territorial de santé mentale" et "s'assure de la déclinaison, au sein du projet médical d'établissement de chacun des membres, des actions qui les concernent prévues par le projet territorial de santé mentale" (cf
dépêche du 28/10/2016 à 09:51).
Le Pr Christine Passerieux, coresponsable du centre de preuves en psychiatrie et en santé mentale, a estimé quant à elle que "le paradigme du rétablissement, que le décret annonce, associe des caractéristiques communes quant aux organisations, qui permettent d'accompagner, de soutenir, le mouvement de rétablissement des personnes". Elle a cité "la continuité des soins, la continuité des parcours, la question de l'ambulatoire -et que le domicile devienne le centre de gravité des soins".
"Mais il y a un certain nombre de notions qui ne sont pas encore déclinées dans nos pratiques: la notion de contrat, d'implication des personnes [...], leur permettre de participer à la prise de décision concernant leur devenir, leurs soins".
Et selon elle, "pour l'instant, dans [le projet de] décret, et dans nos réflexions, on patine au niveau de la coordination. Il y a un point absolument crucial et qui est insuffisamment décliné, c'est comment se fait cette coordination, en sachant que si on respecte le principe du rétablissement et de l'empowerment, il n'y a pas à mettre un patron dans l'avion […], il y a à se concerter, à mettre de la coordination, parce que le patron c'est la personne", avec, autour d'elle "une équipe resserrée" composée de professionnels sanitaires et sociaux.
"Une accumulation des territoires possibles"
La question du périmètre du territoire a également été abordée lors de la table ronde. "On voit bien une accumulation de territoires possibles", a souligné Michel Laforcade, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine et auteur du rapport ayant donné naissance à la notion de "panier de services" (cf
dépêche du 14/10/2016 à 18:15).
"Je ne rêve plus à un seul territoire identique pour l'ensemble des populations concernées et pour l'ensemble du champ sanitaire, social et médico-social. Nous n'y arriverons jamais. La question, quand même, c'est que pour la psychiatrie et la santé mentale, on risque d'avoir trois ou quatre territoires différents... Celui du GHT, celui du projet territorial, [...] et pourquoi pas celui de la CPT", a-t-il souligné.
"Je crois qu'il faudra, au moins pour ce champ-là, qu'on essaie d'en avoir le moins possible, en ayant en tête, quand même, une obsession, c'est [ce] qui correspond aux besoins de la population concernée. Un territoire est toujours le territoire d'une politique, par définition, et pour mener cette politique, quel est le territoire cohérent par rapport à un bassin de vie, quel est l'endroit où la population concernée va pouvoir trouver l'ensemble des dispositifs dont elle a besoin ? Il faut que ce soit une question et une réponse que l'on porte collectivement", a-t-il encouragé.
Pour sa part, la directrice générale de l'organisation des soins (DGOS), Anne-Marie Armanteras de Saxcé, a rappelé, lors de son allocution devant les congressistes de l'Adesm, vendredi (cf
dépêche du 25/11/2016 à 14:44), que "le législateur vous a tenu libre. C'est-à-dire que le territoire est défini à la main des acteurs".
"C'est un territoire d'intervention, c'est un territoire de projets, c'est un territoire qui doit s'adresser à un bassin de vie de la population, sans que, pour autant, toutes les offres spécifiques existent dans ce territoire", a-t-elle défini.
"Je vous invite [à réaliser] la définition de votre diagnostic territorial dès que vous pouvez le porter avec les autres acteurs, et à vous engager" dans "la concertation avec les ARS [agences régionales de santé]", a-t-elle enjoint.
"Nous savons que cela prendra du temps", a-t-elle assuré.
"A la direction générale de l'offre de soins, nous sommes à votre disposition pour travailler avec vous, les représentants des établissements, sur des modalités d'accompagnement. Il faut que nous y réfléchissions, que vous y réfléchissiez, et j'attends que vous reveniez vers moi pour qu'ensemble, nous élaborions les modalités qui vous paraissent les plus efficaces, les plus pragmatiques, pour vous accompagner dans cette démarche", a-t-elle assuré.
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