(Par Valérie LESPEZ, aux Journées de l'Adesm)
PARIS, 29 novembre 2016 (APM) - Le secteur 3 de psychiatrie (Vème et VIème arrondissements de Paris), géré par le centre hospitalier Sainte-Anne (CHSA), ne pratique qu'exceptionnellement la contention et l'isolement, ont souligné les membres de l'équipe médicale et soignante en expliquant par le menu leur organisation et leur "idéologie", lors des Journées de l'Association des établissements du service public de santé mentale (Adesm), organisées en fin de semaine dernière à Paris.
Il y a "très peu" d'isolement et de contention dans le secteur 3 de Paris, a assuré le Dr Jean-Luc Marcel, chef de pôle du psychiatrie adulte au CHSA, interrogé par l'Adesm dans une vidéo diffusée lors des Journées de l'association, vendredi.
"J'y vois comme explication que ça dépend du facteur humain -selon sa propre histoire, on réagit différemment face à des situations violentes- et cela dépend aussi de l'histoire de chacun des services", a-t-il assuré.
"A tenir un discours très sécuritaire, comme on l'entend bien souvent, et non plus par rapport à la sécurité [...], on met les équipes en insécurité. Et j'y vois là une des raisons pour lesquelles on attache peut-être un peu plus [...]", a-t-il aussi commenté. "Quand j'étais interne, une cheffe de service est arrivée dans le service, et elle a dit [...] 'est-ce que vous avez des moyens de contention ? Apportez-les moi, je vais les rendre à l'administration, on va faire autrement'", a-t-il raconté, citant là Ginette Amado, qui a donné son nom au centre d’accueil et de crise (CAC) du secteur 3.
Quelques années plus tard, "elle est partie et a été remplacée par un autre chef de service qui a décidé de réintroduire les moyens de contention, et on a fermé le service. Les malades n'avaient pas changé", a-t-il poursuivi, ajoutant: "J'ai une explication: on ne porte pas le même regard sur la maladie, sur la façon de prendre en charge nos patients".
Il s'est réjoui qu'avec la loi de santé, "la contention et l'isolement ne sont plus des prescriptions médicales, mais des décisions, et qu'on [ne soit] plus dans le domaine du soin mais de la privation de libertés" (cf
dépêche du 28/11/2016 à 15:51).
Cela dit, l'utilisation ou non de ces pratiques dépend aussi de l'organisation des soins dans le service, a-t-il insisté. "Les deux tiers de nos moyens sont en dehors de l'hôpital. A l'hôpital, on n'a qu'une unité d'hospitalisation de 26 lits et une unité à temps partiel [de 14 places], et à l'extérieur, on a des structures de soins très diversifiées, parmi lesquelles [le CAC], qui accueille les urgences 24h/24 et dispose de lits de 'crise'", a-t-il décrit.
"Cela nous permet d'hospitaliser moins et de recevoir toutes les urgences. [Pratiquement] toutes les décisions d'hospitalisation sont prises à partir du centre d'accueil et de crise. Et il n'y a aucun moyen d'isolement et de contention dans ce centre", a-t-il assuré.
"Nous n'avons pas, ni de botte secrète ni de boîtes à outils particulière", a complété à la tribune le Dr Philippe Goudal, responsable du CAC. "Quand on n'a pas le matériel pour attacher […] il faut faire autrement. C'est penser autrement les soins. Si on nous disait 'vous ne pouvez plus recourir à la contention et l'isolement, je suis sûr que nous trouverions, tous, les moyens de faire autrement", a-t-il encouragé. "L'existence même [des outils] permet [leur] utilisation !"
"Ce qui caractérise notre pratique, c'est le don de temps. Un patient peut être agité, il y a un accompagnement [...], le recours à une prescription peut être tout à fait nécessaire, soit administrée par voie buccale soit par voie injectable. L'injection peut être considérée comme un acte d'accueil dès lors qu'il s'agit de soulager quelqu'un en grande souffrance", a-t-il expliqué.
Une prise en charge individualisée
Dans son intervention enregistrée, Jean-Luc Marcel a souligné précisément que dans le secteur 3, "on a développé la notion d'accueil, d'ouverture. L'accueil est une rencontre entre un patient, sa famille et une équipe soignante. A partir de cette rencontre, de la qualité de cette relation qui va pouvoir s'établir, il va être proposé aux différents intéressés différents modes de prise en charge. Et parmi ces prises en charge, il y a [celle] d'un lit de crise, une prise en charge à temps partiel, un retour à domicile avec une consultation dès le lendemain, et cela peut être aussi une hospitalisation [...] qui est préparée", a-t-il poursuivi.
"Cela a donc des répercussions sur l'intra-hospitalier. Les patients sont de nouveau accueillis, dans cet hôpital, on essaie de leur expliquer comment on fonctionne, et surtout, ils sont accueillis dans un service entièrement ouvert", a-t-il souligné. "On n'a pas plus de fugues que les autres secteurs", a-t-il assuré.
"On n'a pas de procédure ou de protocole d'admission pour les patients [...], il n'y a pas de mise en pyjama ou [l'application] de certaines consignes. C'est vraiment une prise en charge individualisée", a précisé à la tribune Catherine Masson, cadre supérieur de santé du secteur 3.
Quand un patient arrive agité, "la contention et l'isolement, ce n'est pas thérapeutique [...]. Ce qui est thérapeutique, c'est une contenance qui est effectuée par l'équipe soignante avec un accompagnement, une disponibilité et une personnalisation des soins et de la relation. Il y a les médicaments, c'est une chose -et nos patients sont traités- mais vous avez aussi la relation [...] qui est un des rares outils techniques dont dispose les infirmiers [...], c'est un soin intensif", a également détaillé le chef de service.
Soulignant que son secteur enregistrait un taux de turn-over inférieur aux autres secteurs, il a expliqué organiser "beaucoup de réunions institutionnelles, relativement fréquentes, relativement importantes, où chacun peut s'exprimer. Tout le monde peut dire ce qu'il pense, tout le monde peut penser les soins, tout le monde peut nous faire réfléchir et adapter un petit peu nos réponses aux difficultés que nous rencontrons", a-t-il ajouté, évoquant aussi le "compagnonnage des infirmiers entre eux", et la formation dispensée dans le service.
"Il est plus souhaitable de donner un médicament que d'attacher un patient"
Si la contention ne se pratique pas du tout au CAC, elle existe "exceptionnellement" au sein de l'unité d'hospitalisation du secteur. "Par définition, on reçoit les patients les plus agités et les plus problématiques, mais on a la même idéologie", a souligné à la tribune le Dr Agathe Perony, responsable du service. "En tant que médecin de l'unité, je sais qu'il est presque interdit d'attacher, sauf cas de force majeure. Mais je pense que ça joue énormément de travailler avec l'idée que ça ne doit pas être un outil", a-t-elle avancé.
Interrogée sur ce que pouvaient être "les cas de force majeure", elle a expliqué que "c'est quand on a essayé de contenir le patient par des moyens soignants, de parole, etc., et bien entendu d'un traitement ajusté. On n'hésite pas à recourir à de fortes doses de neuroleptiques, sans dépasser [les limites]. Je pense qu'il est plus souhaitable de donner un médicament que d'attacher un patient."
"La contenance psychique est priorisée, puis la contenance physique", a confirmé Catherine Masson.
L'importance du choix d'orientations des ressources humaines
En réaction à cette présentation, Vincent Thomas, directeur de l'établissement public de santé mentale (EPSM) de la Sarthe, a remarqué qu'"une partie des différences que l'on peut constater dans les pratiques d'isolement et de contention tient aux choix d'organisation des services [...], et notamment aux choix d'orientation des ressources humaines".
"Quand le Dr Marcel explique qu'il n'y a plus que 26 lits d'hospitalisation pour deux arrondissements parisiens, [cela revient] bien [à] dire qu'il a décidé de consacrer l'essentiel des ressources humaines aux prises en charge alternatives et qu'il peut donc disposer de ressources humaines en quantité suffisante pour avoir un temps d'encadrement de chaque patient, un taux de présence auprès de chaque patient hospitalisé nettement supérieur à ce qu'on peut faire quand on a encore beaucoup trop de patients hospitalisés", a-t-il ajouté.
"Il est important pour nous, directeurs, d'entendre cela", a-t-il insisté.
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