(Par Virginie BAGOUET)
PARIS, 6 août 2020 (APMnews) - Une équipe de chercheurs détaille les liens d'intérêt entre les auteurs des articles de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection à Marseille sur l'hydroxychloroquine dans le Covid-19 et l'équipe éditoriale des revues qui les ont publiés, dans une étude mise en ligne mi-juillet sur la plateforme MetaArXiv.
Cette
étude n'a pas fait l'objet d'une relecture par les pairs, MetaArXiv étant une plateforme de pré-publication, mais elle a été soumise à publication dans une revue à comité de relecture.
A travers l'exemple des travaux publiés par l'équipe de l'IHU de Marseille dirigée par Didier Raoult sur l'hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19, Clara Locher du centre d'investigation clinique de Rennes (CHU de Rennes, Inserm CIC 1414) et ses collègues estiment avoir identifié un nouveau type de publications: les revues scientifiques "d'auto-promotion".
Ils rappellent que la "saga de l'hydroxychloroquine" a été la controverse scientifique la plus médiatisée des 100 premiers jours de l'épidémie de coronavirus. Ils estiment que celle-ci a vu le jour avec la publication, le 20 mars, dans International Journal of Antimicrobial Agents de la première étude de l'IHU évaluant l'hydroxychloroquine chez 26 patients infectés par le Sars-CoV-2 (cf
dépêche du 20/03/2020 à 11:22).
Les résultats de ces travaux avaient été diffusés par Didier Raoult et l'IHU Méditerranée Infection de Marseille avant même leur publication, rappelle-t-on (cf
dépêche du 18/03/2020 à 11:46).
Malgré d'importantes failles méthodologiques, cette étude, qui a bénéficié d'une importante couverture médiatique et de commentaires de chefs d'Etat, a été à l'origine d'une vague de recherches inutiles avec plus de 150 essais cliniques lancés à travers le monde pour évaluer l'efficacité de l'hydroxychloroquine et de la chloroquine. Cette frénésie de recherche autour de l'hydroxychloroquine s'est soldée par la publication, dans The Lancet, d'une étude soupçonnée de fraude scientifique (cf
dépêche du 05/06/2020 à 11:22).
Le rédacteur en chef de la revue International Journal of Antimicrobial Agents, Jean-Marc Rolain, travaille à l'IHU de Marseille et il est également signataire de ce premier article. Or, les auteurs n'avaient pas déclaré ce lien. Par ailleurs, le processus de relecture par les pairs a été réalisé en une journée.
Si la société savante propriétaire du journal, l'International Society of Antimicrobial Chemotherapy, a fait publiquement part de ses réserves, concernant notamment la sécurité des patients, elle n'a pas remis en cause le processus de validation par les pairs (cf
dépêche du 06/04/2020 à 14:24).

Publication des travaux de l'IHU Méditérranée Infection sur l'hydroxychloroquine
L'équipe de l'IHU a ensuite publié quatre articles sur l'hydroxychloroquine: les 11 avril et 5 mai dans Travel Medicine and Infectious Disease (avec respectivement 80 patients et 1.061 patients), le 6 juin dans New Microbes and New Infections (une méta-analyse) et le 25 juin dans Travel Medicine and Infectious Disease (sur 3.737 patients).
La qualité de cette méta-analyse, qui n'est pas reproductible, a été l'objet de critiques sur le site de révision par les pairs PubPeers.
Le rédacteur en chef de la revue New Microbes and New Infections, ainsi que six éditeurs associés, travaillent également avec Didier Raoult.
Ce journal, depuis sa création en 2013, a publié 728 articles, parmi lesquels 32% écrits par un membre de son comité éditorial, 31% écrits par un éditeur marseillais et 32% comptant Didier Raoult parmi ses auteurs.
En analysant 789 revues scientifiques traitant de maladies infectieuses, les auteurs ont constaté que New Microbes and New Infections se distingue par le fait qu'il concentre une proportion importante d'articles écrits par le même auteur (36%) alors que le volume d'articles ces 5 dernières années est important (598).
Les auteurs de cette analyse estiment néanmoins que New Microbes and New Infections ne peut pas être qualifiée de "revue prédatrice" (c'est-à-dire qui traque les chercheurs et n'a pas de comité de relecture).
Elle est indexée par le Directory of Open Access Journal et adhère aux standards éditoriaux d'Elsevier. Toutefois, si la politique éditoriale d'Elsevier, qui impose à un éditeur de ne pas être impliqué dans les articles écrits par lui-même ou des collègues, a été appliquée, 40% des articles publiés n'ont pas été traités par son éditeur en chef Michel Drancourt. Ce pourcentage est très élevé pour un responsable éditorial, notent les auteurs. Ils considèrent que cela pose question sur la pluralité des points de vue exposés dans cette revue et son indépendance.
Au vu de cette analyse, ils définissent un nouveau type de revues scientifiques "illégitimes" : les journaux auto-promotionnels. Ils se caractérisent par une part importante d'articles publiés par le même groupe d'auteurs, en particulier lorsque les éditeurs ont des liens d'intérêts avec ces auteurs et une recherche de faible qualité.
Ces revues scientifiques auto-promotionnelles auraient pour but d'augmenter le nombre de publications des auteurs qui y publient leurs travaux, critère utilisé pour évaluer les chercheurs et financer les équipes.
Dans le cas du Covid-19, de telles pratiques se sont avérées délétères: plusieurs pays ont autorisé le recours à l'hydroxychloroquine pour traiter les patients atteints de Covid-19 (en prenant le risque de les exposer à ses effets secondaires, note-t-on) avant de finalement revenir sur cette décision quelques semaines plus tard.
vib/ab/APMnews